A l’approche des élections, les partis politiques s’intéressent de plus en plus aux banlieues, et plus particulièrement aux cités. Sur place, tous partagent le même objectif : lutter contre l’abstention, surtout celle des jeunes.
Il est 10h ce mardi matin. Hakima* arpente depuis deux heures déjà le marché de Saint-Denis. Elle transporte dans un sac une centaine de tracts rouge et blanc à l’effigie de Stéphane Peu, candidat communiste aux élections législatives de 2017. Les tracts partent rapidement, passent de mains en mains. Un vendeur la hèle, les gens viennent lui parler de la campagne ou du beau temps. Hakima rit avec tout le monde.
C’est une habituée du marché : elle vient jusqu’à trois fois par semaine pour tracter en période électorale, depuis des années. « C’est très important qu’on soit ici, sur place, et que les gens nous voient. Les gars du Parti socialiste, eux, ils sont jamais là. »
Saint-Denis est l’un des derniers bastions communistes de France, dans une Seine-Saint-Denis conquise par les socialistes en 2008. « Le PS ne fait rien ici. On a été vraiment déçus par les élections locales, mais aussi par François Hollande. Tout le monde nous a oubliés. » Beaucoup de promesses non tenues, beaucoup d’élus jamais présents. « Les communistes, eux, ils ont toujours été là au moins. Et ils font du bon boulot pour nous. »

A droite, on veut la réconciliation
Lundi 12 décembre, 20 heures. Ils sont une cinquantaine réunis dans ce petit café de Pantin, en proche banlieue parisienne. Le visage dans ces notes, Geoffrey Carvalhinho semble un peu nerveux. Dans quelques minutes, il va lancer sa campagne pour les élections législatives de juin prochain. A 26 ans, il est le candidat Les Républicains dans la sixième circonscription de Seine-Saint-Denis, qui regroupe les municipalités de Pantin et d’Aubervilliers. Un bastion socialiste, aux mains de l’ancienne Garde des Sceaux Elisabeth Guigou depuis 14 ans. Un pari risqué donc, voire impossible. Mais ce sarkozyste convaincu ne s’avoue pas vaincu. Le vent va tourner, il en est sûr. « En 2012, nous avons perdu des circonscriptions réputées imperdables pour la droite », dit-il après un discours passionné, très sarkozyste, quoiqu’un peu hésitant par moments.

Geoffrey Carvalhinho tient sa vocation politique de sa jeunesse, passée dans la cité des 4000, à la Courneuve. En 2005, un enfant de 11 ans, Sid-Ahmed Hammache, habitant du quartier, est tué par une balle perdue lors d’un affrontement entre deux bandes rivales. La semaine suivante, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac, promet de « nettoyer la cité au Kärcher ». Ses propos lui valent de nombreuses critiques de la part des médias et des habitants des banlieues. Mais Geoffrey Carvalhinho, encore adolescent à l’époque, préfère se souvenir de « l’homme d’action » qui, selon lui, « voulait venir en aide aux jeunes des cités ».
En 2014, il se présente aux élections municipales. Il brigue maintenant le mandat de député. Son premier discours de campagne survient tôt, à six mois du scrutin. Pour renverser la gauche, Geoffrey Carvalhinho mise sur une longue campagne. « Les gens nous disent qu’ils verront au moment des élections, mais selon moi il faut partir tôt pour rencontrer les gens et faire un travail de terrain. » Ce fils d’immigrés portugais, qui vit désormais aux Quatre Chemins, un quartier populaire de Pantin, cherche à tout prix à convaincre les jeunes électeurs. « J’entends souvent dire que les habitants des cités se fichent de la politique et qu’ils ne votent pas. C’est faux ! Les cités sont politisées, mais de plus en plus en faveur du FN. »
Vers une vague bleue Marine ?
Au Front national, la banlieue a un visage : celui de Jordan Bardella, conseiller régional et secrétaire départemental en Seine-Saint-Denis. Né à Drancy, cet étudiant de La Sorbonne est l’une des figures montantes du parti. A 21 ans seulement, il a récemment intégré l’équipe de campagne de Marine Le Pen. Contacté par téléphone, M. Bardella insiste sur la nécessité de faire entendre la voix de cette « majorité silencieuse qui subit le communautarisme ». A ce titre, il préside « Banlieues Patriotes », l’un des collectifs lancés en 2013 pour associer la société civile au processus électoral.
L’objectif est clair : élargir la base du parti et faire des propositions sur des thèmes qui faisaient défaut à la campagne présidentielle de 2012. Aux « Banlieues Patriotes », on est par exemple pour la suppression pure et simple de la politique de la ville. « Les quartiers où le plus d’argent a été investi sont aussi les plus criminogènes. Sans compter que cet argent finance un clientélisme d’État quasi mafieux », assure M. Bardella.
Des propos à nuancer. Depuis 2003, le Plan national pour la rénovation urbaine (PNRU) a permis de transformer près de 500 quartiers en difficulté en France. En 2014, cinq milliards d’euros ont été investis dans le renouvellement de ce plan. Des programmes ambitieux, qui ont changé les conditions de vie de populations qui vivaient jusqu’alors dans des logements délabrés.

Dans un livre blanc publié au mois de novembre, le collectif prône une approche globale des « quartiers sabotés », selon l’expression du jeune cadre. Rétablissement du service militaire, création d’une brigade de gendarmerie affectée au désarmement des banlieues… Les propositions sont nombreuses. Elles ont été soumises à la présidence du parti, qui décidera début 2017 si elles figureront, ou non, dans le programme national.
Mais avant ça, il faut réussir à se faire entendre. A rassurer, aussi. Gilles Clavel, ancien secrétaire départemental du FN93, affirme qu’il ne faut «pas insister sur les problématiques liées à l’immigration. Ca ne sert à rien de mettre de l’huile sur le feu.» Dans sa communication de plus en plus soignée, le Front national a recours à des outils parfois surprenants. C’est ainsi qu’est née « Mon quartier la France », une émission disponible sur YouTube à l’attention d’un public jeune et connecté. L’émission entend proposer des débats « sur le patriotisme dans les cités ».
Et ce discours séduit. Dans les banlieues, le vote FN est en constante augmentation. En Seine-Saint-Denis, le score du Front national est passé de 9% au premier tour de l’élection présidentielle de 2007 à 13,55% cinq ans plus tard, et de 13,23% à 20,02% entre les régionales de 2004 et de 2015. Pour Soufiane, qui habite à Saint-Denis depuis toujours, ce n’est pas une surprise. « De plus en plus de jeunes se sentent comme des ‘Français de seconde zone’, et ils ont l’impression de pouvoir y remédier en votant FN. » Pour Marine Le Pen, conquérir le vote des banlieues constitue une étape supplémentaire dans la dédiabolisation de son parti.
Mais elle n’est pas la seule à séduire un nombre croissant de jeunes dans les banlieues. Emmanuel Macron et son mouvement En Marche ! suscitent aussi l’intérêt des habitants. « Ils aiment beaucoup son discours d’intégration par le travail. Et certaines personnes ont pu trouver un emploi grâce aux ‘bus Macron’ », explique Soufiane. « Il est aussi très jeune, et pas comme tous les autres hommes politiques. »
Désormais, tous attendent que passent les fêtes de fin d’année pour pouvoir donner le véritable coup d’envoi de leur campagne. Une chose est sûre : pour tous les candidats, la route pour l’Elysée passe par les banlieues.
*les prénoms ont été changés
Aurore Gayte et Antoine Jégat
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