A Caudebec-lès-Elbeuf, petite ville des terres ouvrières normandes, le Front National cherche à convaincre les électeurs de ce fief socialiste. En vue de l’élection présidentielle, les militants tablent sur la proximité. Reportage.


Le bambin tend la main d’un air curieux vers la pile de tracts. Les mots Au nom du peuple s’inscrivent en lettres bleu marine sur le papier glacé. “Non, toi je crois que tu es encore trop petit pour en avoir”, plaisante David Nourry, la cinquantaine. En cette matinée de décembre, le militant du Front national arpente les allées clairsemées du marché dominical de Caudebec-lès-Elbeuf. Dans cette ville normande de 10 000 habitants, ouvrière dès le XIXème siècle avec la présence d’industries textiles, le taux de chômage atteignait 21,3 %¹ en 2013, soit plus du double de la moyenne nationale. Depuis deux ans, David Nourry est élu d’opposition de la commune, dirigée par un maire socialiste. C’est le premier tract national qu’il distribue “Pour Marine” en vue de l’élection présidentielle.

“On est de mieux en mieux reçus”

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Le FN distribue les tracts envoyés par le Bureau National de Nanterre.

Face à lui, la maman du jeune enfant arbore une moue peu enthousiaste. Les joues rougies par la fraîcheur matinale, elle dit “ne pas partager toutes les idées du Front national”. “Je travaille pour France Terre d’Asile. Du coup, des réfugiés j’en vois souvent, alors…” La phrase reste en suspens, à peine audible dans le brouhaha du marché. Entre le conseiller municipal et la jeune femme, la discussion finit par s’engager. Crise migratoire, mais aussi Europe… Elle repart sans être convaincue. “Dans la circonscription, il y a quand même un bon potentiel électoral, les gens commencent à bien nous connaître”, avance David Nourry.

Globalement, on est bien reçus, c’est de mieux en mieux”, ajoute Isabelle Gilbert, à quelques pas de lui. Echarpe rouge et grise nouée autour du cou, la quinquagénaire tend des tracts aux passants. Certains murmurent un « non, merci » et poursuivent leur chemin sans ralentir le pas. D’autres l’acceptent, le sourire aux lèvres. “Si ça avait été pour François Hollande, c’est sûr que je l’aurais pas pris”, lance une commerçante. Elle confie son exaspération des vols et de l’insécurité qu’elle ressent sur certains marchés des alentours.

L’insécurité, c’est aussi ce qui a poussé Isabelle Gilbert à intégrer le Front national. Mère de six enfants, elle dit avoir peur pour ses deux filles. Elle craint “une transformation culturelle” à cause de l’islam. Elle s’indigne de vidéos diffusées par une association musulmane locale prônant une séparation physique entre les hommes et les femmes. Le “côté social” du FN l’a aussi touchée. “Il y a beaucoup de perdants de la mondialisation, de gens qui ont travaillé toute la vie”, déclare l’élue. “Marine Le Pen, on peut pas dire que ce soit une femme du peuple, mais elle est à l’écoute des gens, elle a cette façon d’être qui est populaire. En 2012, je l’avais vue quand elle avait été au Tréport voir les marins-pêcheurs. Il y avait des militants mais aussi des gens qui étaient venus de loin pour lui serrer la main. Je trouvais qu’elle avait de l’empathie pour les gens.”

“J’ai peur de sortir de chez moi”

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Frédérique Guillot, militante FN en Seine-Maritime

A l’époque, Isabelle Gilbert était une toute nouvelle militante du FN. Depuis, elle s’est investie dans la vie politique. Conseillère régionale de Normandie et élue municipale d’Elbeuf, une ville voisine autrefois connue pour son activité drapière, elle est la responsable de la quatrième circonscription de Seine-Maritime pour la campagne présidentielle, qui précédera les élections législatives. Elle compte sur une équipe “de vingt à vingt-cinq militants” et prévoit surtout des actions sur le terrain. “On se base sur la proximité. On va faire des tractages sur les marchés, des boîtages* et probablement deux-trois réunions publiques aussi.” Pour l’instant, ni leur nombre ni les thèmes ne sont définis.

“On est encore très tôt dans la campagne”, explique l’élue qui sera suppléante du secrétaire général du FN Nicolas Bay pour les législatives. L’eurodéputé frontiste était arrivé en seconde position lors du scrutin de 2012. Dans ce fief de l’ancien ministre socialiste des Affaires étrangères Laurent Fabius, il avait engrangé 18,36% des suffrages au premier tour, soit environ quatre points de plus que le candidat de centre-droit. Depuis, le Front national s’installe sur ces terres industrielles marquées à gauche, touchées par le chômage.

“Maintenant, il n’y a plus beaucoup d’emplois ici, je m’inquiète pour nos enfants et petits-enfants”, se désole Josette, 77 ans. Cette ancienne ouvrière du textile venue faire ses emplettes accepte, plutôt enthousiaste, le tract d’Isabelle Gilbert. Elle a longtemps été de gauche. “J’ai même voté communiste dans ma jeunesse”, déclare avec un grand sourire la vieille dame aux cheveux argentés. En 2017, elle envisage de mettre dans l’urne un bulletin en faveur de Marine Le Pen. “Je suis écœurée par tout ce qu’il se passe, peut-être que finalement je me déciderai pour elle. Si elle nous renvoie une partie de la racaille… J’ai peur de sortir de chez moi. (…) Et puis, il y a tous ces immigrés qui arrivent, ça ne me dérangerait pas d’accueillir des femmes et des enfants, mais là ce sont surtout des jeunes hommes qui ne se sont pas battus pour leur pays…“Il y a beaucoup de migrants économiques”, renchérit Isabelle Gilbert à ses côtés.

“Un ras-le-bol général qui fait qu’on est de plus en plus écoutés”

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Isabelle Gilbert, Conseillère régionale de Normandie et élue municipale FN d’Elbeuf

Sur ces terres ouvrières, le FN met l’accent “sur la question sociale et celle de l’immigration”, explique la conseillère régionale. “Il y a un ras-le-bol général qui fait qu’on est de plus en plus écoutés, et comme on est bien implantés les gens nous connaissent bien.” Elle se dirige vers une sexagénaire qui avance le long des étals ; appuyée sur une béquille, celle-ci saisit le tract d’un air fatigué. “Au nom du peuple, ça commence bien au moins.” Raymonde, 61 ans, a travaillé comme couturière ou femme de ménage. “Mais à mon âge, comment voulez-vous que je retrouve du boulot ? Je survis avec le RSA, c’est pas suffisant pour tout payer.” Isabelle Gilbert lui recommande de se rendre au CCAS (Centre communal d’action sociale). “Il faut que j’y aille oui. Vous savez, ça fait cinq ans que je ne vois plus personne, je ne suis pas aidée du tout.” Raymonde dit qu’elle votera sans doute blanc. “On ne se sent pas très écoutés.” Elle se déclare sensible à la présence du Front national sur le terrain et ajoute, amusée, qu’elle espère continuer à voir Isabelle Gilbert au long de la campagne.

Peu à peu, les commerçants du marché commencent à remballer leurs marchandises. Dans les bras des militants FN, la pile de tracts a diminué. Ils se disent confiants pour l’année électorale à venir. “Je pense qu’on a une bonne chance de remporter l’élection présidentielle, entre autres parce qu’on est dans un milieu plutôt populaire et de gauche qui bascule plus facilement sur le vote FN que sur le vote de droite classique”, résume Isabelle Gilbert. Pour l’élu municipal bleu marine David Nourry, Marine Le Pen a un avantage que n’ont pas tous les autres candidats : “Aujourd’hui, les gens peuvent tout critiquer, mais pas ceux qui n’ont pas encore fait leurs preuves.”

 

* Boîtage : porte à porte pour distribuer des tracts chez les gens.

 

Texte et photos : Léa Sanchez